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CouvPocheIndispensables
J'ai créé ce blog lors de la sortie de mon livre "Les Indispensables mathématiques et physiques pour tous", Odile Jacob, avril 2006 ; livre republié en poche en octobre 2011 (achat en ligne) (sommaire du livre).
Je développe dans ce blog des notions de mathématiques et de physique à destination du plus large public possible, en essayant de susciter questions et discussion: n'hésitez pas à laisser vos commentaires!

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Indispensables astronomiques

Nouveauté octobre 2013, mon livre "Les Indispensables astronomiques et astrophysiques pour tous" est sorti en poche, 9,5€ (éditions Odile Jacob, éidtion originale 2009). Comme mon premier livre (Les Indispensables mathématiques et physiques), c'est un livre de notions de base illustrées avec des exemples concrets, s'appuyant sur les mathématiques (géométrie notamment) pour l'astronomie, et sur la physique pour l'astrophysique. Je recommande vivement sa lecture.

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23 mai 2023 2 23 /05 /mai /2023 12:37

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Méthode et cultures scientifiques

Le terme science recouvre un certain nombre d’aspects. C’est un ensemble de connaissances, en évolution constante. Un métier, pour certains. Une approche et un raisonnement : la méthode scientifique. Qu’est-ce que la méthode scientifique ? Grande et belle question. L’histoire des sciences, et l’épistémologie (étude de la construction des savoirs scientifiques) permettent en partie d’y répondre, en tout cas d’illustrer cette méthode. Je voudrais égrener ici, sous forme de points successifs, un certain nombre de réflexions que je me suis faites, au cours d’une carrière de vulgarisateur et d’historien des sciences ; elles me paraissent intéressantes pour un lycéen de Première dans le cadre de l’évolution de l’enseignement scientifique général.

Primo. Qu’est-ce qui importe le plus dans la science, la théorie ou les faits ? Les deux ! Dans l’histoire, et même de nos jours, certains savants plus « expérimentaux » privilégieront toujours les faits, c'est-à-dire les résultats d’expérience. Ils ont raison… mais les « théoriciens » aussi ! Car si une théorie sans faits expérimentaux ne vaut rien, des faits sans théorie non plus : un scientifique a besoin d’un cadre théorique pour interpréter ses résultats expérimentaux – ce qui a fait faire au physicien Ludwig Boltzmann ce jeu de mots : « Rien n’est plus pratique que la théorie. » Tel « fait » ne signifie pas la même chose dans un cadre théorique donné ou dans un autre, et c’est justement ce qui peut éventuellement permettre d’écarter une théorie au profit d’une autre.

Secundo. Le rapport entre la science et la technique. On croit trop souvent que la science précède la technique, celle-ci étant une « application » de celle-là. Mais ce n’est pas si simple ! La technique a parfois précédé la science, le savoir-faire a précédé le savoir. On a fait fonctionner une machine à vapeur de Watt (à partir de 1775) avant de comprendre le processus de conversion de la chaleur en travail (avec le Français Sadi Carnot, cinquante ans plus tard, en 1825). Encore de nos jours, comme avec le télescope de Galilée lui permettant d’énoncer certains de ses résultats, la technique permet des appareils de mesure toujours plus précis, des grands équipements de recherche plus performants (comme le collisionneur du CERN à Genève pour la physique des particules), qui à leur tour permettent de faire avancer les connaissances scientifiques. On pourrait multiplier les exemples, et en donner d’autres en mathématiques : certains résultats, comme le « théorème des quatre couleurs », ne peuvent être démontrés que grâce à la puissance acquise en calcul informatique….

Tertio. Une chose fascinante dans la science – dans la théorie, et chez certains savants – est son caractère prédictif. Prenons l’exemple d’Einstein (mais on pourrait en prendre d’autres) : la relativité générale est en sommeil entre 1925 et 1960 – personne ne s’y intéresse, et ce jusqu’au début de la conquête de l’espace, qui amène des satellites rapides, des télescopes spatiaux permettant à partir des années 1960 et toujours maintenant de vérifier la relativité générale, théorie émise fin 1915. Au point que celle-ci en vient à être qualifiée de « boîte à outils de l’astrophysique ». Le système GPS, opérationnel depuis les années 2000, confirme en même temps qu’utilise et la relativité restreinte (1905) et la relativité générale (1915). Il en va de même de l’idée d’« émission stimulée » (émission d’un photon par un électron qui se désexcite), hypothèse émise par Einstein dans le cadre de la physique quantique en 1917, et qui trouvera à la fois sa confirmation et son application dans le laser optique dans les années 1950 (laser signifie d’ailleurs : light amplification by stimulated emission of radiation – on retrouve la notion d’ « émission stimulée »).

Quarto. La science, c’est aussi une épopée, non pas de controverses, mais de discussions constructives entre pairs – tout résultat doit pouvoir être reproduit, donc confirmé, sinon contesté – avec des arguments bien sûr. Ainsi la science est-elle à la fois un savoir cumulatif (les résultats s’accumulent), mais aussi un avoir substitutif (une théorie peut chasser l’autre, car elle interprète mieux ou en plus grand nombre les faits) ; seules les mathématiques ne sont que cumulatives – les sciences de la nature à proprement parler sont, en plus, substitutives (en physique, la théorie de la relativité générale d’Einstein a chassé la gravitation de Newton ; la théorie darwinienne de l’évolution a chassé la vieille théorie fixiste d’un univers créé une fois pour toutes par une puissance extérieure). Un des plus beaux exemples de cette construction des savoirs est la théorie de l’atomisme (la réalité de l’existence des atomes), jusqu’au début du xxe siècle où l’existence des atomes est attestée. On l’a oublié, mais avant cela la plupart des grands savants pensait, assez naturellement puisque c’est ce qu’on observe à l’échelle macroscopique, que la matière était continue, et non pas constituée d’éléments insécables, dits atomes (du grec a-tomos, qui ne peut être coupé). Ou plutôt la question… ne se posait pas, parce qu’elle n’était pas vraiment nécessaire à ce moment-là du développement de la science. Ainsi Gay-Lussac employait-il molécule (petit élément de matière) pour ce qu’on appellera plus tard atome, ce qui ne facilite pas la compréhension pour le lecteur contemporain (pour lequel molécule signifie assemblage d’atomes) ! À la même époque, on connaissait bien sûr l’acide chlorhydrique HCl (qu’on appelait acide muriatique), mais on ne connaissait pas l’élément chlore Cl : on l’appelait acide muriatique oxygéné (c'est-à-dire l’HCl où l’hydrogène est réduit par l’oxygène, ce qui donne donc du chlore, et de l’eau), avant de réaliser que c’était… un corps simple, le chlore ! Ce que l’on serait tenté de voir de nos jours comme des erreurs constitue en fait la construction féconde des savoirs scientifiques.

Cependant. Ce n’est sans doute pas le lieu dans ce manuel de parler d’enseignement de la science – encore moins de le critiquer ! Mais, malgré tout ce qui précède, malgré tous les exemples que j’ai pris dans l’histoire des sciences (si je les ai pris dans l’histoire, c’est parce qu’ils permettent plus facilement que des exemples contemporains de comprendre ce qu’est effectivement la science…), je mets en garde : l’histoire des sciences, certes fort nécessaire et à présent bienvenue dans l’enseignement, ne saurait se substituer à la science elle-même et à l’énoncé de ses résultats. La science est une belle histoire, mais chacun, à son niveau – à commencer par celui du collégien puis du lycéen – doit avoir à comprendre intimement et à intégrer un certain nombre d’« acquis ». Le récit, utile, ne saurait remplacer l’assimilation des résultats effectifs…

Finalement. Qu’est-ce qu’une « culture scientifique » ? C’est, à n’en pas douter, la nécessité de conserver après le lycée une curiosité pour les résultats scientifiques les plus récents, en mathématiques, en physique, en biologie ; c’est avoir la possibilité de les comprendre, dans leurs grandes lignes. Mais y a-t-il vraiment à distinguer une culture qui serait générale et une culture qui serait, elle, scientifique ? Certes, la spécialisation de la science, l’augmentation de la sphère de la connaissance, font qu’il est difficile – il faut s’accrocher ! – de maintenir pour soi-même une « culture scientifique » tout au long de sa vie. Mais on ne saurait distinguer l’une de l’autre : la culture scientifique fait nécessairement partie de la culture générale – la culture scientifique est une culture générale. Je dirais même plus, en inversant la proposition : toute culture générale est – ou devrait être – scientifique : j’entends par là que, même dans le domaine de l’actualité, de l’opinion, une démarche scientifique est utile, voire nécessaire. Face au déferlement quotidien d’informations et d’opinions sur les sujets les plus divers, un minimum de raisonnement, d’approche scientifique est ô combien nécessaire, certes pour les annonces scientifiques, mais aussi pour les faits d’actualité plus générale, qui sont plus nombreux, et plus controversés ! Savoir évaluer la probabilité de véracité d’une information, la pertinence de son émetteur, etc., nécessite une forme d’approche scientifique – pour laquelle la formation par la science, ou la compréhension de la démarche scientifique, sont fort utiles ! Bref, si l’on entend parfois que « la science est partout », c’est sans doute vrai – mais ce pourrait l’être encore plus : qui que nous soyons, quelles que soient nos préférences dans les savoirs, nous avons besoin de la méthode et du raisonnement scientifiques dans notre appréciation du monde dans lequel nous vivons.

Alexandre Moatti
(mai 2019)

 

 

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Alterscience (janvier 2013)

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Récréations mathéphysiques

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Mon dernier ouvrage est sorti le 14 octobre 2010 : Récréations mathéphysiques (éditions Le Pommier) (détails sur ce blog)

Einstein, un siècle contre lui

J'ai aussi un thème de recherche, l'alterscience, faisant l'objet d'un cours que j'ai professé à l'EHESS en 2008-2009 et 2009-2010. Il était en partie fondé sur mon second livre, "Einstein, un siècle contre lui", Odile Jacob, octobre 2007, livre d'histoire des sciences (voir billet sur ce blog, et notamment ses savoureux commentaires).

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