Lecture et analyse des articles d’Idriss Aberkane sur la conjecture de Syracuse
Nous voulions analyser l’article de 2017 d’Idriss Aberkane sur la conjecture de Collatz-Syracuse[1]. L’un de nous, JJLP (Jojo Le Poisson)[2], par ailleurs mathématicien, « s’y est collé » : il a produit le document joint en annexe, qui résume en 2 pages et commente en une troisième l’article de 15 pages d’IA. L’idée était de comprendre ses éventuels résultats, et de les exposer de manière accessible, par « réduction[3] » et simplification de cet article ; en effet celui-ci est peu lisible, mal écrit (au sens de : manque de clarté, manque d’exposé des objectifs) – par ailleurs de nombreuses notations souvent superflues en rendent la lecture difficile[4]. Ce travail était d’autant plus nécessaire que dans certains de ses tweets[5] (comme ici), IA en donne un résumé qui ne correspond pas aux résultats de son propre article.
Sur le fond, nous pouvons résumer cet article IA 2017 ainsi : « Démontrer la GGC (Golden Gate Conjecture)[6] équivaut à démontrer celle de Syracuse » ; sachant que la GGC s’énonce ainsi : « Pour tout entier naturel N congru à 5 modulo 8, les orbites de N et de (2N + 1) convergent. » C’est ce que l’on appelle un résultat d’équivalence. Mais rien n’indique que cette équivalence corresponde à une avancée dans ou vers la démonstration : il est même très probable que ce ne soit pas le cas. L’histoire des mathématiques est pavée de conjectures censées en simplifier une autre, y compris quand celle-ci s’est avérée fausse[7]. Dans le problème de Syracuse, il existe aussi d’autres énoncés d’équivalence, en apparence plus puissants que celui d’IA – mais dont rien n’indique là aussi qu’ils permettent d’avancer dans la démonstration[8]. Autrement dit, l’article IA 2017 est vrai, une partie en est non triviale (il n’est pas immédiat de le comprendre)[9], mais est-il original (au sens : apporte-t-il réellement quelque chose) ? L’analyse de la dernière partie de IA 2017, la GGC Golden Gate Conjecture (sa proposition 10), peut être facilement déduite d'un article Cadogan [2000] : ceci réduit de beaucoup l’intérêt d’IA 2017 (nous en discutons ci-après). Nous serons plus catégoriques sur le fait que, contrairement à ce que prétend IA sans précisions, son article puisse apporter des éléments de théorie à la résolution de Syracuse : tel n’est pas le cas.
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Il est à noter que, fort de cette première analyse, JJLP a aussi tenté de faire le même travail pour l’article suivant d’Aberkane [2020a][10], de 15 pages, mis en ligne en français à peine une semaine après qu’eut éclaté la franche discussion sur Twitter – ce qui suppose qu’IA « l’avait sous le coude » et ne le publiait pas, pour des raisons qui lui appartiennent. A l’inverse de l’article de 2017, la compréhension de cet article de mi-janvier 2020 et sa réduction n’ont pas été possibles, compte tenu de sa rédaction et de son caractère confus et incompréhensible dès l’abord[11] : nous affirmons cela d’autant plus aisément que ce travail avait pu être fait pour le premier article, ce qui prouve si besoin en était le caractère volontaire et sans préjugés de notre démarche.
Enfin, le 28 janvier 2020, alors que nous rédigions le présent document, IA a mis en ligne, cette fois-ci non sur HAL mais sur son blog, un 3e article [2020b] : « At least almost all Collatz orbits attain bounded values, and other significant corollaries on the Syracuse problem ». Le rythme, comme en réponse au fait qu’IA ait été poussé dans ses retranchements sur Twitter, est difficile à suivre ; et peu cohérent avec une élaboration scientifique patiente de résultats successifs. Sur la forme, la rupture de style entre le papier en français de mi-janvier (IA [2020a]) et celui en anglais de fin janvier (IA [2020b]) est saisissante : on est revenu d’un article non mathématique à un article mathématique, mal écrit (analogue à IA 2017). Sur le fond, [2020b] est composé de deux parties : la première reprend les idées de la première partie de IA 2017 en les exposant de façon plus concise, quoiqu’encore avec un luxe de notations la rendant assez difficile d'accès. La deuxième décrit un « algorithme » nouveau, le Golden Gate Automaton (lié au principal « résultat » d’IA 2017, la GGC) : mais tant la description de l'algorithme que les démonstrations des deux « théorèmes » qui en décrivent les vertus sont absolument opaques – il n’a pas été possible de les décoder. L'absence de définition de « almost all » laisse perplexe – tout particulièrement quand IA compare ses résultats à ceux de Terence Tao [2019][12] qui, lui, définit précisément ce qu'il entend par « almost all », puis produit une preuve subtile de 49 pages en faisant usage d'outils d'analyse et de probabilités.
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Nous revenons à présent sur le premier article IA [2017], non son contenu (déjà évoqué ci-dessus, et résumé en annexe ci-après), mais sur ses conditions de production ; travailler sur un article (ici, IA 2017) amène de facto, et de manière la plus neutre possible, à s’intéresser à son contexte de production. Par ailleurs, la recherche du caractère « original » - ou non - du premier article (IA l’avait présenté ainsi et incitait à vérifier cette originalité) a bien entendu conduit à examiner la bibliographie existante, autre que les deux simples références (AMS 2010 et Science 2015) données par IA en conclusion de son article.
Ce type de travaux sur des orbites de Syracuse qui se rejoignent (to coalesce en anglais) a été l'apanage d'un professeur isolé, à La Barbade (Caraïbes), Charles C. Cadogan[13], publiant dans une revue dont il était lui-même l’éditeur, le Caribbean Journal of Mathematical and Computing Sciences. Ces travaux se déroulent entre 1984 et 2006 (voir une page de bibliographie de ce mathématicien, réf. 1 à 5 pour Syracuse)[14]. Ce mathématicien est décédé en 2015, et il est difficile d’avoir accès aux articles publiés dans cette revue.
En voici les résumés :
ainsi que :
Si nous insistons sur cet auteur, c’est parce que l’article de 1996 ci-dessus contient déjà le Théorème 1 et la Proposition 1 d’IA 2017 (p. 3). Un examen de ces articles, si nous pouvions y avoir accès (or, ils sont quasi introuvables) pourrait permettre de trouver d’autres convergences. Mais si nous insistons sur cet auteur, c’est aussi parce que, si IA a eu connaissance de ses articles (p. ex. à Stanford), il y a dans ce cas une troublante similitude entre son article et celui de cet auteur.
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Notre attention a aussi été attirée par un preprint bien rédigé récent (2019) dans le même esprit (coalescence d’orbites d’entiers suivant divers modulo), écrit par un étudiant d’une université américaine, Roy Burson (Undergraduate Student, California State University, Northridge) ; citant Cadogan dans une bibliographie assez fournie, il démontre lui aussi une conjecture d’équivalence, de type GGC[15]. Si nous le mentionnons, c’est parce que cela situe à notre sens l’article IA 2017 : pour ce qui n'est pas trivial, ce pourrait être un mémoire construit d'étudiant de licence, si c'était lisible.
Enfin, nous devons noter le caractère incongru des mentions que fait IA à ses « résultats » dans son ouvrage grand public de septembre 2018[16] (pages concernées) ; incompréhensible par la plupart de ses lecteurs, ne correspondant que de loin à la GGC, à énoncés redondants, cette présentation, en plus d’être peu fondée mathématiquement et d’une grande prétention[17], se fait de plus dans un contexte inepte de comparaison avec la biochimie.
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Les deux co-auteurs ci-dessous ont choisi de publier ce présent document sur internet car c’était à leurs yeux nécessaire – ni sur HAL, encore moins sur arXiv, mais sur le blog de vulgarisation scientifique de l’un d’entre nous (blog qui a fonctionné de 2006 à 2014). Certains lecteurs pourront trouver, nous l’espérons, intérêt à ce document et à la démarche la plus ouverte possible qu’il souhaite manifester.
A.Moatti et JJLP
7 février 2020
(nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont participé sur Twitter à l’analyse de ce sujet – et notamment Antoine Bérut, Marc de Falco, Rémi Doris, Benoît Kloeckner…)
(en annexe ci-après, 3 p., analyse et simplification par JJLP de l’article IA 2017) (document complet PDF à télécharger)
[1] I. Aberkane, « On the Syracuse conjecture over the binary tree», 15 août 2017, non publié dans une revue, mis en ligne sur HAL.
[2] Qui préfère garder l’anonymat sur internet, mais pas spécifiquement en relation à ce sujet.
[3] Au sens général du terme, comme plus particulièrement au sens culinaire (« réduire une sauce »).
[4] JJLP a introduit les notions de nombre rose et nombre vert, non par ironie envers l’article d’IA qui appelle bleus les nombres impairs et rouges les nombres pairs, mais parce que ces notions rose et vert apportent réellement (à la différence de rouge et bleu) à la fluidité de son résumé ci-après. Ainsi, un nombre x est vert si et seulement si le chiffre qui précède le dernier 0 de son écriture en base 2 est égal à la parité du rang, le rang de N étant le nombre de chiffres 1 terminaux dans cette écriture. IA introduit quant à lui des définitions qui paraissent autant fantaisistes que superfétatoires : glacis, vanilla-related, banana, banana-split,…
[5] Nous ne prenons pas en considération ici les beaucoup plus nombreux tweets provocateurs où IA s’en prend à une communauté universitaire censément veule et ne prenant pas la peine de lui répondre. C’est pourtant ce que nous nous sommes résolus à faire ici, au risque d’alimenter cette moulinette.
[6] L’explication de la designation GGC est donnée par IA: « the author of this article established the Golden Gate conjecture at the Lange Special Collection Reading Room of the University of California, San Francisco, with a view of the Golden Gate Bridge, a name altogether fitting for the definition of a “bridge” connecting two “red numbers” as they were colored in his personal notes. » (IA 2017, p. 14).
[7] Comme dans les tentatives de démontrer le 5e postulat d’Euclide, y compris chez des « grands » mathématiciens (p. ex. Adrien Legendre, 1752-1833), en le remplaçant par un énoncé équivalent, mais supposément plus « simple ». Ou dans le problème de la quadrature du cercle.
[8] Voir par exemple Monks [2006, PDF], avec le résultat suivant lequel prouver Syracuse pour une suite arithmétique d’entiers positifs A + Bn (B non nul, aussi grand que l’on veut), équivaut à prouver Syracuse.
[9] Le caractère trivial ou non est détaillé ci-dessous suivant les différentes parties de l’article.
[10] I. Aberkane, « L’intersection des arbres 2-3-4-aires complets sur N forme un repère et construit une solution au problème de Syracuse », non publié dans une revue, daté du 12 janvier 2020, mis en ligne HAL le même jour.
[12][12] IA indique que son article [2020b] serait supérieur à celui de Tao [2019], qui devient un simple cas particulier de ses résultats.
[14] Et plus spécifiquement les articles suivants de Cadogan, 2000-2006 : « The 3x+ 1 problem: towards a solution », Caribbean J. Math. Comput. Sci. 10 (2000), 11 p. ; « Trajectories in the 3x+1 problem”, J. of Combinatorial Mathematics and Combinatorial Computing, 44 (2003), 31 p.; “A Solution to the 3x+1 Problem”, Caribbean J. Math. Comp. Sci. 13 (2006), 11 p.
[15] Son résultat, clair et bien écrit, est le suivant : la conjecture « Pour tout entier k, les orbites de 2k+1 et 6k+5 convergent » est équivalente à Syracuse. Il est moins fort que celui d’IA, mais constitue un « résultat d’équivalence » assez comparable.
[16] I. Aberkane, L'Âge de la connaissance : Traité d'écologie positive, Paris, Robert Laffont, coll. « Réponses », septembre 2018, 374 p.
[17] « Je ne saurais trop insister sur le fait que ces théorèmes [NB : 7 énoncés précédents, en une à deux lignes chacun], c'est-à-dire ces preuves irréfutables, sont non seulement originales, donc jamais démontrées plus tôt, mais surtout qu’elles donneront l’impression très justifiée de sortir de nulle part [NB : nous nous sommes attachés à montrer le contraire dans la 2e partie du présent document], tout en réduisant considérablement la complexité du problème, ouvrant une faille majeure dans sa difficulté, contredisant ainsi l’affirmation d’in cessibilité “dans l’état actuel de nos connaissances”. Pourtant, sans aucune ambigüité, jamais je n’aurais pu produire de tels théorèmes sans m’inspirer de la structure des chaînes catalytiques en biochimie. Je peux ainsi affirmer qu’il y a une “biochimie du problème de Syracuse” […] » (IA, L’âge de la connaissance…, op. cit.)