(ajoût 2013 : j'ai consacré le chapitre XVI de mon livre Alterscience à "Lyndon LaRouche et le technofascisme")
J'avais été amené à m'intéresser à Cheminade et à LaRouche dans le cadre de mon ouvrage Einstein, un siècle contre lui (2007) (chapitre XX) et dans le cadre de mon séminaire EHESS (2008-2010) sur l'alterscience. Il y a chez LaRouche une instrumentalisation de la science et de l'histoire des sciences au profit de son idéologie. Par exemple, LaRouche et sa revue de sciences Fusion veulent "réouvrir un débat sur la pauvreté des découvertes scientifiques au XX° siècle".Je donne d'autres exemples dans mon ouvrage.
Lyndon LaRouche (né en 1922) (WikiCommons)
Le larouchisme (et ses diverses déclinaisons, comme S&P de Cheminade en France) est une idéologie violemment anti-écologiste prônant une croissance sans entraves de l'humanité grâce à la science et à la technologie − certains commentateurs américains (Dennis King) l'ont baptisé "technofascisme". Mais on ne peut parler de l'instrumentalisation de la science par LaRouche sans comprendre son intrication avec l'ensemble de la pensée larouchiste.
À la faveur de la campagne électorale, Cheminade se retrouve sous les feux de la rampe pour trois semaines encore. À la demande pressante de mes amis, notamment du Café des Sciences (qui font dans un blog du Monde, Votons pour la science, une présentation des programmes science & recherrche des différents candidats), je me suis repenché sur son site Solidarité et Progrès et vous propose un décryptage de certains articles, dans le cadre du magma étonnamment cohérent de la pensée larouchiste.
Ce samedi, j'ai regardé sur le site Cheminade l'article de Laurence Hecht "Science contre génocide : ce que le Climategate n'a pas révélé". On retrouve le larouchisme bien évidemment parmi les mouvements américains qui nient le caractère anthropique du réchauffement climatique, ceux que Naomi Oreskes, professeur à l'université de San Diego, a qualifiés de "marchands de doute". Nous allons procéder en mode citations, avec les commentaires en-dessous.
Extraits 1
l’aspect le plus criminel de la fraude du réchauffement climatique c’est qu’elle promeut un génocide pire que celui d’Hitler [...] combattre les intentions génocidaires des promoteurs du réchauffement climatique.
On retrouve la propension larouchiste à invoquer le terme génocide à tout propos : c'est , ici, le génocide de l'humanité (décroissance de la population) prétendument préparé par l'écologisme. Et, comme l'indique le titre seule la Science serait à même de s'opposer à ce génocide... La référence à Hitler est aussi très fréquente : ainsi Obama ménerait une politique à la Hitler de réduction des dépenses de santé (politique à la Hitler = eugénisme issu du darwinisme, selon les critères larouchistes) – Chemimade lui-même a repris l'idée de "triage social" en comparant Obama à Hitler.
image site Lyndon LaRouche (larouchepac.com/node/18961)
L’intention explicite dans la promotion de cette imposture anti-scientifique est d’arrêter tout progrès scientifique et technologique afin de réduire drastiquement la population mondiale à moins de deux milliards de personnes, comme l’a proposé le Prince Philip, fondateur du WWF [...] l’association du Prince Philip avec le Prince Bernhard des Pays-Bas (un ancien nazi) et d’autres forces de l’oligarchie européenne pour promouvoir le WWF
La "théorie" du réchauffement climatique serait donc une imposture anti-scientifique.
Et toujours les mêmes références aux Nazis : le parallèle est fait entre l'attitude du prince Bernhard des Pays-Bas pendant la Seconde Guerre mondiale et l'ONG écologiste World Wildlife Fund WWF - ainsi associée au régime Nazi. En fait, Cheminade a eu beau minimiser sa comparaison entre Obama et Hitler, le larouchisme compare tout au nazisme. LaRouche fait partie des conspirationnistes du 11 septembre (il pense que c'est le gouvernement américain qui a organisé l'attentat contre le World Trade Center): pour lui, c'est un "Reichstag-like event", un événement analogue à l'incendie du Reichstag monté par les Nazis en 1933 (Is Fecit cui prodest | le coupable est celui à qui profite le crime).
Extraits 3
Vinrent ensuite l’attaque contre l’industrie chimique, puis l’accident de la centrale nucléaire de Three Miles Island, probablement un sabotage, qui fut utilisé pour empêcher l’installation de toute nouvelle centrale nucléaire sur le sol américain [...] Deux générations ont été perdues pour la science, à cause de cette attaque des environnementalistes [...] Le meilleur candidat pour fournir l’énergie aux vaisseaux d’exploration planétaire est probablement la réaction de fusion à l’hélium 3-deutérium, utilisant la ressource d’hélium 3 abondamment présente sur la surface de la Lune.
L'histoire est en permanence réexpliquée à l'aune de l'idéologie larouchiste. D'ailleurs, il y a une forte volonté d'éducation des militants (d'embrigadement ?) chez LaRouche, qui se pose souvent en théoricien de l'éducation. Sur le site S&P de Cheminade, on trouve d'ailleurs les articles de fond dans la rubrique "Se Former".
Ici, dans cet extrait, on appréciera le "probablement un sabotage" à propos de l'accident nucléaire de Three Miles Island (1979) - perpétré dans la logique larouchiste par des écologistes antinucléaires (cf. extrait suivant).
La conquête de l'espace (les vols habités) est vue comme un moyen de colonisation : rien ne doit s'opposer à l'expansion de l'humanité – et l'Homme doit pouvoir aller habiter la Lune et Mars, les coloniser. Aussi pour aller chercher le fameux hélium-3 nécessaire à l'énergie de fusion (qui donne son titre à la revue scientifique du mouvement larouchiste).
J'arrête là – il y aurait beaucoup à dire sur l'idéologie larouchiste – antibritannisme virulent, "antisionisme démonologique" (P. A. Taguieff, La Foire aux Illuminés, 2005), dérive sectaire (rapport MIVILUDES au Premier Ministre, 2005), conspirationnisme, &c.
J'ai hésité à faire ce billet, mais je me suis dit que c'était une façon citoyenne de participer à la campagne électorale. Je promeus la science, mais ne souhaite pas le faire aux côtés des larouchistes.
À suivre peut-être (notamment sur l'instrumentalisation du darwinisme chez S&P).