
Dans une population quelconque, le nombre de femmes de moins de 40 ans est inférieur ou égal à la somme formée du nombre de femmes qui fument et du nombre de personnes âgées de moins de 40 ans qui ne fument pas.
Ou quand la science s'invite dans les prétoires… Ou science à gogos...L'avocat de J.L. Gergorin, le bâtonnier Paul-Albert Iweins, a eu une ligne de défense très particulière de son client, celle des gogos de l'Histoire. Et il a cité à l'appui le mathématicien Michel Chasles (1793-1880), qui, mystifié par un faussaire ès-lettres anciennes, soutenait à ses confrères de l'Académie des sciences que Blaise Pascal avait découvert la gravitation universelle avant Newton ! L'avocat pousse même la comparaison (source Le Monde du 25 octobre) en rappelant que Chasles était polytechnicien (X1813), comme Gergorin (X1966 – ainsi qu'énarque et membre du Conseil d'État). Être comparé à Chasles, çà donne des airs bonasses et sympathiques, des airs de dindons de la farce, des airs de… Bouvard et Pécuchet… Ah, mais pardon, là, non, c'est une vraie vocation, çà ne saurait être une improvisation de circonstance : n'est pas Bouvard ou Pécuchet qui veut !
Floréal - Michel Chasles (Image Bibliothèque de l'école polytechnique)
Le procureur a ordonné un petit complément d'enquête sur Michel Chasles, et il semblerait que la ressemblance entre les deux gogos s'atténue toutefois :
La générosité que Chasles manifesta si hautement dans sa jeunesse ne se démentit à aucune heure de sa longue existence.
L'esprit de charité dont il était possédé, cette ardente passion de la bienfaisance qui l'animait, ne connaissaient pas d'obstacles. Sa bonté n'admettait ni ajournement ni objections.
(hommages à Chasles, livre du centenaire de l'X, 1894, in Bulletin de la Société des amis de la bibliothèque de l'X, n°5, juillet 1989… décidément, une mine, ce Bulletin !)
Un autre polytechnicien, votre serviteur, rat de bibliothèque comme Bouvard & Pécuchet, travaillant sur les interprétations extensives de la science et de son histoire, est allé glaner sur la tant décriée et pourtant si utile bibliothèque Google Books quelques détails (in Les grandes affaires criminelles d'Eure et Loir, Gérald Massé, éditions de Borée, 2007, p.102 & sequentes) et s'est rendu compte que la comparaison allait assez loin, puisque l'auteur écrit à propos de Chasles :
L'ancien polytechnicien cache un jardin secret. Il voue un véritable culte aux anciens manuscrits. Savoir que la main d'un homme célèbre a tracé des lignes sur le manuscrit d'un vieux parchemin le met dans une sorte de transe. [...]
Qui peut sonder le cœur d'un homme amoureux ? Car Jean-Louis Gergorin Michel Chasles était amoureux des vieux manuscrits, des grandes signatures, de l'histoire en définitive. Et l'amour rend aveugle, c'est bien connu ! [...]
Le 16 février 1870, la 6° chambre correctionnelle de la Seine juge Vrain-Lucas [le faussaire] Le procès passionne le Tout-Paris.
Mais attention ! Clearstream n'est pas une vulgaire affaire criminelle d'Eure-et-Loir, fût-elle grande ! Finalement, l'avocat Me Iweins aurait pu aller chercher le nœud de l'affaire Clearstream dans un autre résultat de Chasles, déjà exhibé dans ce blog : il existe 3264 coniques tangentes à cinq coniques données dans un plan ! Ces coniques peuvent être réelles ou complexes. Un exemple de figure illustrant ce résultat, ci-dessous : il se pourrait bien que le foyer de la conique nœud de l'affaire Clearstream s'y trouve, cherchez bien !
Cas où on peut trouver effectivement 3264 coniques réelles tangentes aux cinq hyperboles, Ronga et al., 1997.
Voyant ces casques je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un précédent billet de ce blog sur le congrès Solvay de 1927, avec tous ces scientifiques en chapeau :
Pour se détendre, hop, un problème de prisonniers (rappelé par le logicien J.Y. Girard au passage dans un article « Science et obscurantisme »). Deux prisonniers, seul l'un d'entre eux aura la vie sauve s'il répond correctement. Ils ont chacun un point - blanc ou noir - sur le front, ils voient la couleur du point sur le front du collègue mais pas sur le leur, et ils savent qu'au moins un des deux points est blanc. Donc la vie sauve pour celui qui devine quelle est la couleur de son point. On commence par le prisonnier A. Il passe car il a vu un point blanc sur le front de son collègue et donc ne peut conclure. Le prisonnier B, voyant que son collègue passe, en déduit que son propre point est blanc et gagne la vie sauve. Mais le sel de l'histoire est dans la variante : le prisonnier A passe, B dit que son propre point est blanc (comme ce qui précède) mais est néanmoins exécuté... parce que A est un crétin qui a vu un point noir sur le front de l'autre, mais n'a pas su conclure : la vie sauve pour A, ou la prime à la c..., en quelque sorte.
Première étape : on étudie les triangles OKL et OKH, et on montre qu'ils sont dans le « rapport de Fermat » : sin i = HK/OK, sin r = OL/OK donc HK/sin i = OL/sin r, soit, comme sin i /V = sin r /v (par construction, billet précédent,V étant la vitesse dans le milieu du haut, v < V la vitesse dans celui du bas) HK / V = OL / v.
Deuxième étape : on trace (en vert) le rayon AK. Il coupe OH en un point I. On remarque que KI est l'hypoténuse d'un triangle KHI rectangle en H, donc KH < KI. On remarque aussi que IA est l'hypoténuse d'un triangle AOI rectangle en O, donc AO < AI. Pour la même raison, on a aussi BL < BK.
Troisième étape : On mesure le temps TAKB (temps mis à parcourir la distance AKB).
TAKB = TAK + TKB = TAI + TIK + TKB > TAO + TKH + TKB (compte tenu de l'étape 2, puisque AO < AI et KH < KI).
Or, TKH = HK/V et (première étape) = OL/v donc TKH = OL/v ; or, OL/v = TOL, donc TKH = TOL (c'est la conclusion de la première étape, les deux longueurs sont dans le rapport de Fermat, i.e. la lumière met un temps égal à les parcourir).
On reporte donc ci-dessus : TAKB > TAO + TKH + TKB = TAO + TOL + TKB > TAO + TOL + TLB puisque KB > LB. Donc TAKB > TAO + TOL + TLB = TAOB. Donc le chemin AOB correspondant à sin i /V = sin r /v est bien le plus court. Merci Huygens !
Ce premier billet de chemin le plus court posté le vendredi précédent les vacances scolaires parisiennes a déchaîné les discussions, j’en suis heureux, et a conduit aux deux solutions, l’une cartésienne et lourde proposée par moi, l’autre euclidienne et légère proposée par les fidèles lecteurs. Je termine (provisoirement ?) ce cycle de « chemins le plus court » avec celui du maître-nageur, que nous a rappelé Benjamin en commentaire, et que j’avais en tête en entamant ce cycle.
Ce chemin n’est pas la ligne droite AB (il court trop peu longtemps et nage trop longtemps), ce n’est pas non plus la ligne ACB où on maximise la distance sur le sable (dans ce cas, la distance totale est trop grande). Ce chemin est entre les deux, c'est le chemin AMB donné par l’angle i tel que sin i = V/v sin r (de C à la ligne droite, le rapport sin r / sin i varie de 0 à 1, donc on est assuré qu'il prend la valeur v/V, inférieure à 1).
On le démontre facilement avec la démonstration cartésienne lourde; le temps total s'écrit, en reprenant les notations du billet précédent :
T = AM / V + MB / v = (x² + a²)1/2/ V + [(L-x)² + b²]1/2/ v, en dérivant par rapport à x, le minimum est atteint pour :
x / (V×AM) = (L-x) / (v×MB), ou en d’autres termes OM/ (V × AM) = MC / (v × MB) ; on retrouve une égalité de triangles semblables, à la vitesse près de part et d’autre.
Or sin i = OM / AM, et sin r = MC / MB, on retrouve sin i / V = sin r / v, c'est le principe de Fermat- Descartes de la réfraction, n1 sin i1 = n2 sin i2 (dans notre cas l'inverse des vitesses dans chaque milieu est l'équivalent de l'indice de réfraction, ce qui est cohérent avec vlumière = c / n dans un milieu d'indice n).
Mon dernier ouvrage est sorti le 14 octobre 2010 : Récréations mathéphysiques (éditions Le Pommier) (détails sur ce blog)
J'ai aussi un thème de recherche, l'alterscience, faisant l'objet d'un cours que j'ai professé à l'EHESS en
2008-2009 et 2009-2010. Il était en
partie fondé sur mon second livre, "Einstein, un siècle contre lui", Odile Jacob, octobre 2007, livre d'histoire des sciences (voir billet sur ce blog, et notamment ses savoureux commentaires).